Le train de 9h20
Histoires à choix multiples
Chapitre I : Basile
Chapitre II : Patrock
Chapitre III : Juliette
Chapitre IV : Vincent
Chapitre V : Céleste
Chapitre VI : Marie-Claire
Chapitre VII : Didier
Chapitre VIII : Aldo
Chapitre IX : Clément
Chapitre V
Céleste
Céleste avait laissé Léo dans le lit chaud. A mesure que l’heure avançait, le lit devait l’être moins. Ça faisait déjà une semaine qu’elle préparait les bagages, rassemblait ses affaires, les cadeaux pour Gina, les foulards, ça faisait si français. Elle avait empilé ses robes d’été, à Milan ça devrait le faire malgré les frimas encore là dans Paris la belle glacée, ses Richelieu en cuir huilé, Milan ça ne s’improvise pas ! Encore quelques livres, des romans au long cours comme les heures de train. Un cheveu de Léo, les lettres de Léo ? Non, cette fois ci lui toujours prompt à lui écrire de grandes tirades quand au loin il s’en allait, il avait dit non. Il ne tiendrait pas les 3 semaines pendant son printemps italien à elle. 3 semaines c’était trop long, il fallait renoncer ou se séparer. Elle ne voulait pas renoncer ? Ils se sépareraient. Elle s’était mordu les lèvres de rage, ce voyage chez Gina elle l’avait imaginé parce qu’elle ne pouvait plus de ses absences à lui, son concerto à Salzbourg, son festival au Japon où ils aiment tant les violonistes français ! Et elle la flamboyante Céleste qui reste au port, Paris rue du globe tandis que son marin coureur parcourt le globe. L’attente chaque fois, l’inquiétude encore plus, Céleste se ronge les sangs, plus si céleste la Céleste. Et Léo qui déclare son amour, disparaît dans le tumulte de la musique, réapparaît comme un cœur quelques jours plus tard la laissant sans nouvelles. Céleste attend, se morfond, se confond en excuses auprès de ses amis quand elle attend l’appel qui ne viendra pas d’un Léo pris dans un allegro. Gina appelle Céleste, Céleste éteinte à Paris. Gina l’invite à Milan, prendre l’air, la grande vie, les retrouvailles des copines crapules à l’amitié scellée à 20ans pendant leurs études de mode. À Milan, qui peut mieux ? Milan-Paris, duo parfait des villes et des copines. Céleste l’élégance française légèrement rétro, Gina l’exubérance italienne avec de grosses breloques et des lunettes noires. Même décembre appelle les lunettes de soleil, pour Gina c’est une affaire de style. Ah oui, Céleste doit s’en souvenir, mettre les lunettes Prada dans la valise, faute de quoi Gina ne lui pardonnera pas. Donc les lunettes, les robes, les Richelieus, les romans, quoi d’autres ? L’éventail bien sûr. Elle a tout ? Elle se retourne vers la tête bouclée de Léo dans l’oreiller. Elle en garde quelque chose de lui ?
V. 1. Gina lui avait dit : « Céleste ma belle, tu dépéris... »
V. 2 Non, mais non !
V. 1.
Gina lui avait dit : « Céleste ma belle, tu dépéris. Passe les Alpes, 3 semaines à Milan, Spritz, Apéritivo et défilés ça va te requinquer ! » Céleste aime plutôt chiner pour le cinéma, les films d’époque, c’est son truc mais l’effervescence des défilés avec Gina à ses côtés, ça lui tourne la tête, juste comme il faut pour laisser ses emmerdes outre Alpes. Céleste avait résisté. Gina avait insisté : « pars quand il rentre, qu’il comprenne ! » Céleste avait cédé et prévu de plier bagages avant le retour de Léo. Sauf qu’une fois n’était pas coutume, Léo était rentré plus tôt, sonné le 16 mai et pas le 17 mai. Il l’avait prise dans ses bras, elle lui avait annoncé son départ. Lui, furieux qu’elle parte la veille de son retour s’était emporté. « Partir maintenant qu’il rentrait et surtout pire encore, alors qu’il aurait dû rentrer le lendemain ? » « Précisément, c’était chacun son tour mon petit Léo », avait dit Céleste prise la main dans le sac. Les palabres avaient duré toute la nuit, Céleste n’avait pas failli. Ce sera notre dernière nuit avait tranché Léo, avant de s’écrouler épuisé, la tête dans l’oreiller, persuadé qu’il était que par amour Céleste cèderait au petit jour. La fureur montait, les heures passaient. L’heure du train approchait. Il fallait trancher.
V. 1.1. Gina ne lui pardonnerait plus...
V. 1. 2 Il devait rentrer le 17 au soir.
Ou retour à l'intersection précédente
V. 2.
Non, mais non !
Si !
Pas de lettre.
Une mèche de cheveu.
Non.
Abrège ! Oublie !
Sentiment de froid.
Les pieds froids.
Chaud. Froid.
Je t’aime. Je te quitte.
Je t’aime.
Je m’aime.
Je te prends la tête.
Retrouve-moi.
Baise-moi.
Effleure-moi.
Joue.
Joue avec moi. Joue de moi. Joug sur moi.
Oublie-moi. Sois là. Va là-bas.
Et la musique.
Trop de musique.
Musique amante.
Notes amères.
Puis silence. Puis absence.
Et des bijoux. Et des gifles. Et des fleurs.
Des fleurs.
Puis rien.
Re-vide. Re-rien. Re-plein.
Mais Gina.
Gina et le soleil.
La peau dorée.
Le temps.
Les mots à l’endroit.
L’Italie.
Allez.
Taxi.
8h42.
Elle l’aura son train.
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V. 1.1
Gina ne lui pardonnerait plus, Céleste ne se le pardonnerait pas. Elle avait emballé ses derniers effets et le voyant dormir du sommeil du juste qu’il n’était pas, la fureur l’avait saisie. Un instant seulement. Elle avait claqué la porte et dévalé les escaliers. Le 11e défilait sous ses pieds de Père Lachaise à Voltaire, la rue Richard Lenoir, le bar de la petite vieille tellement vieille qu’elle était toute desséchée derrière son comptoir au milieu des fûts de bière abandonnés, des cages à oiseaux autrefois occupées par des merles plus très moqueurs, du chat endormi sur le tabouret à côté d’elle. Le bar de la vieille comme ils l’appelaient, c’était là qu’ils s’étaient rencontrés un soir d’orage. C’était Gina qui connaissait, Gina connaissait toujours mieux Paris que Céleste alors qu’elle n’y avait débarqué que quelques mois plus tôt. Gina, ses breloques et son dard à lieux interlopes, avait entrainé Céleste dans ce petit rade poussiéreux quand l’orage avait surpris les deux amies à Faidherbe, Gina avait entrainé Céleste comme toujours, elles avaient débarqué dans cet endroit confit dans la poussière, un peu sombre, une lampe faiblarde au-dessus du comptoir, un chat louche qui file sur le zinc. Les breloques de Gina tintaient, la petite vieille avait ouvert les yeux. « Je vous sers quelque chose Mesdames ? » « Deux bières, fraiches ! » avait dit Gina. Les bières étaient arrivées. La conversation ronronnait, Gina et Céleste, parfois Madame Denis, puisque c’est ainsi qu’elle s’appelait, intervenait. Le chat louche faisait des incursions à coup de Madame promène son cul sur les remparts de Varsovie, bon aujourd’hui c’était plutôt sur un zinc de Paris. Nouveau coup de tonnerre. L’orage ne faiblissait pas. Nouveau fracas, la porte s’ouvre et une silhouette confuse d’imperméable trempée entre dans le bar. Dégoulinant, c’est Léo. Léo, un habitué de Madame Denis. Elle les présente : Léo que je connais depuis le berceau, Gina et Céleste, les reines de la sape. Elle s’endort un peu, toute conversation mérite une pause sieste. Madame Denis le connait depuis qu’il est tout petit, ce bar, c’était son refuge quand ses parents s’embrouillaient, quand le ton montait il descendait quatre à quatre les étages et venait se réfugier chez Madame Denis. Ça c’était avant, avant que Léo ne devienne ce fameux concertiste. Ça c’était avant qu’il ne rencontre Céleste et Gina. Céleste balaie tout d’un geste, Madame Denis, le bar de la vieille, la rencontre empoussiérée. Garder le cap, gare de Lyon. Si elle voulait l’atteindre, il ne fallait pas laisser le passé l’étreindre. L’étreindre ou l’éteindre ? Elle ne savait plus. Ils s’étaient étreints, ça oui, elle s’était éteinte, sans doute aussi. Elle l’avait accompagné dans ses premiers concerts à l’époque, encouragé dans ses moments de doutes, écouté ses gammes, son jeu, du conservatoire au concert, des doutes à la scène. Et la scène l’avait aspiré loin d’elle, et elle était aspirée par le vide. Le vide qu’elle avait empli d’étoffes qui justement étoffent son quotidien chagrin. Elle avait bataillé, les tournages faisaient concurrence aux concerts retenant les deux oiseaux hors du nid de Paris. Progressivement elle avait commencé à espacer les tournages, rester à Paris pour ne pas manquer Léo quand, entre deux dates, il apparaissait. Avec le temps elle n’arrivait plus à faire autrement. Les tournages aux lointains rivages avaient perdu leur saveur sauvage. Elle y tenait moins, Paris c’est bien suffisant pour le cinéma. Céleste avait rétréci son monde, progressivement. Léo ne lui avait jamais dit « ne bouge pas », mais toujours « c’est bon que tu sois là ». Céleste, qui autrefois courait les tournages devint oiselle en cage. Oiselle puis lionne. Rage. Un flash, l’oreiller la nuit passée.
V. 1.1.1 Elle revient à elle.
V. 1.1.2 L'oreiller. Trop regardé.
Ou retour à l'intersection précédente
V. 1. 2
Il devait rentrer le 17 au soir. Elle, partir le 16 au soir. Si son plan fonctionnait, elle aurait dû ressentir le manque. Gina lui avait dit que le manque c’était bien. Que ça aidait à prendre une décision. Bien pour douter. S’il lui manquait alors qu’elle était à Milan avec elle, Gina, c’est qu’elle avait encore des doutes. Céleste, elle, elle pense que le doute il est là tout le temps et que le manque l’atténue, et que du coup c’est pas à distance qu’on prend cette décision. C’est trop simple. Le « vrai » manque c’est quand tu vas bien, que tu te sens joyeuse, que l’autre, ou qu’il soit, il te maque aussi. Même si il est tout près. Si tu vas pas si bien ou que la distance est là, installée, ressentie comme une liberté, le manque en fait c’est une trace de l’emprise. Et ça, ni Céleste ni Gina n’en voulait. Elle s’étaient toujours dit que si elles avaient dû s’aimer, ça aurait été mieux. Y a moins de déséquilibre quand on a le même sexe elles pensent. Elles savent pas. Elle savent que les hommes italiens sont pires que les français.
Gina avait lu un jour une carte postale de Léo, postée à l’aéroport de Tokyo avant son vol retour. Du coup il était arrivé avant sa carte. Drôle d’effet quand c’est lui qui l’avait déposé sur l’oreiller de Céleste. Elle avait pas spécialement appréciée. « Ca tue la magie du truc ». Gina avait trouvée la carte postale écrite à l’italienne. Surtout le post scriptum : « P.S : j’espère que pour toi ça avance à Paris, avec amour ». Baclé, désinvolte. Y a que les italiens qui disent même pas « je t’aime » à l’écrit. On s’en fout qu’il le pense. Mais tu l’écris. Même si tu le penses pas, à quoi ca sert sinon ? La carte postale c’est soit pour s’éviter de voir ses grands parents soit pour le dire pour la première fois. Si t’as pas ça dans la tête c’est que t’as pas été enfant, ou que t’as jamais eu quelqu’un, ou que t’as des grands parents qui font des chèques.
En France, Céleste elle écrivait pas de cartes. Ses deux grand-mères étaient « connectées ». Elle avait pas eu beaucoup d’histoires. Ou trop près, ou trop courtes. Ou vécu en pensées.
Elle avait été enfant, c’était bien, on s’ennuyait pas, on rentrait très souvent juste avant la rentrée du coup on racontait tout de suite aux autres. Pas besoin d’écrire ses souvenirs sur une carte. En plus on finit toujours par écrire la même chose que l’année dernière.
Depuis qu’elle avait lu cette carte, Gina avait pris la décision pour Céleste. Céleste le sentait, le sentant elle le sentait pas du coup. Léo il avait écrit une carte. C’était la première de dix voyages. C’était mieux que les neuf autres. C’était une trace de manque, à défaut d’amour.
Elle était pas tout à fait comme Gina Céleste. Elle cherche pas la passion, l’accalmie, la rencontre, les non-dits, la tempête. Elle cherche juste une éclaircie. Des teintes. Elle cherche à se faire aimer, ça OK. Mais pas forcément à pouvoir le raconter le plus vite possible. A ceux qui s’ennuient, à ceux à côtés. Elle avait aimé surtout des ennuyeux d’ailleurs. On comprenait pas dans son cercle. Elle non plus au départ, puis vite elle se disait que c’était une façon de s’enlever un peu de pression. C’est lui, l’ennui qui guette la fin des trois premiers mois. Il est là, posté au tournant, serein. Il reprend tout. Les petites certitudes, les singularités illusoires, les compliments trop gras. Il en fait des croquettes. Des petites croquettes d’apéro que tu donnerais même pas au chat de la voisine. Des croquettes périmées. A foutre en l’air. Du coup l’ennuyeux il est prévisible et surtout il s’est préparé. Il fabrique moins de croquettes, et il les mange, même passées. Il est pas spécialement naïf, il se lasse moins. Léo, au début, pas ennuyeux : parle, danse, s’absente. Puis très ennuyeux : parle moins, danse sur place un verre à la main, s’absente plus, beaucoup plus. Sépare les activités. Léo arrête de faire trois choses en même temps. Léo s’est décomposé. Elle l’avait rendu ennuyeux, il s’était laissé emmener. C’était assez fort. Ça avait pas plus à tous ses amis. Même du côté de Céleste. Elle sortait plus quand il était là. Silence amical. Jamais facile à expliquer. Plus de répondeurs, répondeurs abandonnés de tout façon. Leur nouveau rythme c’était une activité, une pause de 24h. Un projet, une pause de 3 semaines. En y repensant, elle avait de l’influence sur Léo. Elle le sent. Il change. Peut être en tout cas qu’elle change moins que lui. Première fois que ça lui arrive. C’est le signe de quelque chose de positif selon elle. En tout cas surement moins de souffrance si ça marche pas finalement. Si tu changes moins c’est que t’es moins attaché. Céleste pense que c’est la seule qui peut savoir ce qu’il faut faire avec Léo. Il fallait trancher. Demi tout. Le lit est encore tiède, sinon moite.
Elle peut encore prévenir les secours.
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V. 1.1.1
Elle revient à elle. Rue de Charonne, elle traverse devant le Palais de la Femme. Rue Faidherbe. Elle aura peut-être le temps de prendre un café à La liberté. La liberté, celle qu’elle a abandonnée à l’attente de Léo. Léo dans le cou duquel elle avait senti ce parfum peu commun un soir de retour de concert. Ce parfum, puis les autres, les indices de la présence des autres, ces présences qu’il niait, ces présences qu’elle sentait dans toute sa chair. Les disputes à chaque retour, les grands déchirements à chaque départ. Et, elle impuissante à Paris dans les filets de l’homme araignée. Gina voulait la tirer de là. C’est ce qu’elle avait dit la dernière fois au téléphone. « La tirer de là et vite ». Il fallait qu’elle s’attache à ce « vite », pas de pause à la Liberté, la liberté, elle la gagnerait quand elle aurait mis un pied dans ce train. Elle traine sa valise, le poids du remords, la submersion par la rage, ces années passées à attendre. Le souvenir du coussin froissé lui revient dans la main. Elle ferme les yeux, l’éclair de jouissance, l’effroi de son geste. Ne pas se laisser détourner. Descendre le boulevard, la gare n’était plus si loin. Gina, son visage, sa voix emplissait le crâne de Céleste, il fallait qu’elle atteigne cette gare. 9h05 elle entre dans la gare qui bourdonne. Ça bourdonne sous son crâne à elle aussi. Trouver son quai, son train vite. Voie 9 hall central. Ouf, pas si loin. Quelques pas et elle est y est. Il faut qu’elle le prenne. Pas d’hésitation. Tu veux faire quoi Céleste ? Retourner chez toi soulever l’oreiller pour voir si tu l’as bien étouffé ? 9h17, plus le choix, il faut y aller.
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V. 1.1.2
L’oreiller. Trop regardé.
Le blanc. Tellement blanc.
Éclaboussant de blanc. Éblouissant.
Obsédant.
Comme ses yeux à Léo.
Deux boules de loto.
Suite en V. 1.1.1 Elle revient à elle.