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> TRACES DES ATELIERS

Le train de 9h20
Histoires à choix multiples

Chapitre I : Basile

Chapitre II : Patrock

Chapitre III : Juliette

Chapitre IV : Vincent

Chapitre V : Céleste

Chapitre VI : Marie-Claire

Chapitre VII : Didier

Chapitre VIII : Aldo

Chapitre IX : Clément

Chapitre III

Juliette

Je le trouve très moche mais je reconnais qu’il a de l’allure. Ce vase. Ce très grand vase. En verre teinté, jaune et bleu. Avec ces étoiles à sa base. Et ces vagues déferlantes qui remontent, comme si elles cherchaient le ciel. Comme si lui défiait la gravitation. J’ai toujours trouvé ça bizarre. Un peu trop ambitieux. Pourquoi vouloir la défier alors qu’il y a déjà assez de choses qui ne tournent pas rond. 
Il est présent, ça au moins on ne peut pas lui retirer. Sa présence. Un bon mètre de haut, un bon mètre de large. Forcément, avec son gabarit, il ne peut accueillir aucune fleur. Des marguerites perdues dans son antre immense, ça n’aurait aucune allure, il faudrait des roses trémières géantes, pompières, comme lui, mais on n’en trouve pas vraiment par chez nous, et personne n’a envie d’aller sous les tropiques pour arracher des roses à leur terre, les faire voyager en soute et les retrouver toutes tristes arrivées à Roissy. Alors je l’ai toujours connu vide. Trônant dans le salon, entre l'horloge, rapetissée et le buffet normand rapetissé lui aussi. 
La seule qui ne rapetisse pas à côté du vase, c’est ma grand-mère. Manic, on l’appelle, ma grand-mère. Le vase on l’appelle, “le vase”, comme s’il ne pouvait y en avoir qu’un. Bien qu’à peine plus grande que lui, Manic est présente elle aussi. « Ne touchez pas au vase, vous allez le casser ! ». Son mot d’accueil très sérieux, solennel, chaque été. On a beau lui dire qu’il faudrait une grue pour le bouger, elle n’a qu’une trouille, que son géant de verre finisse au sol, en mille petits morceaux éclatés, que ses étoiles ne brillent plus et que ses vagues ne déferlent plus au ciel. 
Alors quand la gendarmerie de Modane m’a appelée pour m’informer que la maison de Manic était menacée par des glissements de terrain suite aux orages de la veille, mais qu’elle refusait d'évacuer tant qu’on ne mettrait pas son vase à l’abri, je me suis rappelée sa fameuse phrase “ce vase nous enterrera tous”, que mon père avait reformulé en “il nous emmerdera tous”, et qu’il avait bien raison
“Vous savez, l’adjudant a essayé de bouger le vase de votre grand-mère” m’a dit le gendarme “Mais il n'est arrivé à rien”. Sans blague. “Ça l’a mis en rogne car ça lui a mis un coup de vieux. Et depuis votre grand-mère demande à ce que vous veniez le chercher. Le pire c’est qu’elle a l’air sérieuse”. Le pauvre homme était désemparé.
« Manic, tu es en danger, tu dois écouter les gendarmes. Moi je ne peux pas venir, j'ai du travail, j’accompagne un groupe de cinéastes coréens à Cannes. Et de toute façon je suis incapable de le bouger ce vase ». Tout le monde tente des choses vaines dans la vie, alors moi aussi. J’ai reçu une volée de bois vert. Comme quoi la dernière fois que quelqu’un de la famille avait suivi un gendarme il avait fini dans les geôles fascistes, que je n’étais pas digne de mes ancêtres, que dans la famille on s'était battus pour l’unité de l’Italie, que Garibaldi c'est pas de la tarte quand même, que le vase avait voyagé jusqu'à Rome, et qu’il avait traversé les Alpes quand Mussolini était arrivé, et que si à mon âge je n’étais pas capable de faire 3h de train pour un pauvre petit vase de rien du tout, je ne tiendrai pas 3 jours à Cannes au milieu des starlettes de pacotilles, que depuis Le Guépard on n’avait plus fait de bons films, et que dans le cinéma on était tous des chochottes qui se regardaient le nombril. Et elle a raccroché.
Elle a le don de faire bouger les lignes, Manic. Il y a une heure encore, je révisais mes classiques de cinéma coréen, et me voilà à troquer mon avion pour Nice par un train pour les Alpes. 

III. 1. C’est plus écologique c’est sûr, mais...
III. 2. L’avantage, si ce n’est réduire de façon minime mon empreinte carbone, c’est...

III. 1
C’est plus écologique c’est sûr, mais je dois dire que c’est un peu décevant. Il n’a rien de neuf pour moi ce trajet. Au contraire. Les escaliers, mes escaliers, du 5ème jusqu’à la petite cour de mon immeuble, le chat du voisin qui prend le soleil sur la rambarde de la concierge, la porte cochère rouge qui grince, le soleil du matin dans l’axe de la rue, la petite marche jusqu’au métro, cinq minutes pas plus, devant le boucher fermé, la Clio mal garée, le PMU où certains sont déjà au petit blanc, le vélo qui grille le feu, et puis l'avenue où ça bouchonne, ça bouchonne tout le temps, enfin, la station, le quai bondé, le métro bondé, les couloirs de la gare bondé, l’heure de pointe finalement, et puis le train qui nous attend.

Fin de ce voyage : retour à l'intersection précédente, retour au début du voyage de Juliette, retour aux chapitres


III. 2
L’avantage, si ce n’est réduire de façon minime mon empreinte carbone, c’est que je vais avoir le temps de réfléchir à comment le bouger ce vase, ou comment faire bouger Manic sans le vase… Mieux vaut réfléchir au mouvement du vase, question de gravité terrestre. Et qui sait le vase est peut-être pas si lourd, peut-être que l’adjudant est un vieux mascu bedonnant qui a voulu montrer ses gros mumuscles avant de se faire un lumbago en le soulevant, après tout on a jamais osé y toucher à ce vase nous. Théorie sur l’adjudant très plausible, vase poids-plume un peu moins. Il va bien falloir trouver une solution. Hors de question que ce vase nous enterre tous littéralement. Mais first thing first, partir pour la gare parce que c’est bien beau de sauver la planète au dernier moment mais le train est dans 20 minutes. Pas le temps de refaire la valise. Il suffira d’empiler les tenues prévues pour Cannes et on aura un accoutrement des plus adapté au climat des Alpes en plein mois de mai. Ça va être sympa de s’épuiser à bouger le vase engoncée là-dedans, perchée sur des talons de 12. Taxi dans 4 minutes, c’est juste. Il faut encore que je prévienne les coréens que Manic, les fascistes, Garibaldi, Mussolini, le vase, ce vase, ce très grand vase… Allez va pour un test covid positif.
Clac, « Hi, how are you ? I’ve some bad news for you… » «  non non je ne vous parle pas monsieur, oui c’est ça, gare de Lyon » « Sorry » « Covid » « non pas pour de vrai monsieur » , ok les cinéastes c’est bon, le taxi on est dedans, le train on est pas dedans mais on a encore 6 minutes.

III.2.1 Mais bon plus j’y pense…
III.2.2 Ça va encore être quelque chose cette histoire.

Ou retour à l'intersection précédente

III.2.1. 
Mais bon plus j’y pense… Je vais arriver là-bas, je vais être accueillie par les flics et par « ne touchez pas au vase, vous allez le casser », je vais essayer de déplacer le vase moi-même et valider la théorie du mascu au lumbago, je vais échouer, du moins en ce qui concerne le déplacement du vase, je vais me prendre un coup de canne, puis un coup de fil de Cannes, « vous êtes virée », je vais raccrocher, me faire rabrouer, entendre « on dirait ton père », voir les flics acquiescer en fronçant les sourcils, je vais faire appel aux déménageurs bretons – pas plus bretons que ne l’est le Mont Saint Michel – payer leurs services une somme astronomique, somme à laquelle Manic ne participera pas d’un kopeck, ils vont éclater le vase à coups de délicatesse, je vais les regarder méchamment, Manic va me regarder méchamment, je vais regarder mes pieds, ils vont regarder leurs pieds, les flics vont acquiescer en fronçant les sourcils… Résultat on aura un vase brisé, une Manic énervée, une maison qui s’effondre et 15 personnes à l’intérieur… « Laissez tomber, on va à Roissy » 

Fin de ce voyage : retour à l'intersection précédente, retour au début du voyage de Juliette, retour aux chapitres

III.2.2. 
Ça va encore être quelque chose cette histoire. Je risque mon job pour ce fichu vase. On risquerait tout pour Manic et comme les existences de Manic et de ce vase semblent étroitement liées, pas le choix. Je me souviens plus bien pourquoi on l’appelle Manic. Je crois que c’est mon père qui avait fait la suggestion. Une histoire de corrections à coups de maniques ou simplement mamie Nicole, version raccourcie pour les gosses. Je sais plus. En même temps elle s’appelle Simone. Sans doute les dérouillées à la manique qui lui doivent ce surnom. Marrant, je l’ai jamais vue cuisiner. 
Quoi qu’il en soit, il faut la prévenir que j’arrive avant qu’elle ne s’enchaine à son vase en signe de protestation.
Paris-Lyon, Lyon-Chambery, Chambery-Saint Michel machin, Saint Michel truc-Modane. Modane… 6 heures de trajet pour qu’un vase esquisse un frémissement à Modane.
« Le train numero 3248, à destination de Milan va partir, prenez garde à la fermeture automatique des portes attention au départ. ». Trop tard pour faire machine arrière. Coincée à côté d’un type qui mange un sandwich mou qui sent le poulet à 09h20. Le trajet s’annonce long.

Fin de ce voyage : retour à l'intersection précédente, retour au début du voyage de Juliette, retour aux chapitres

Basile
III.1 C'est plus écolo
III.2 L'avantage
III. 2. 2 Ca va encore
Chapitres
III. 2.1 Mais bon
III.1 OU III.2
III.2.1 OU III.2.2
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